En Côte d’Ivoire, les investissements consentis dans la production d’électricité depuis plusieurs décennies ont été payants : la puissance installée nationale dépasse celle de la plupart des États voisins, avec des centrales hydrauliques qui fournissent un tiers du mix énergétique et une quasi-indépendance vis-à-vis du charbon.
Malgré ces bons résultats, plus d’un quart des Ivoiriens n’ont toujours pas l’électricité dans leurs foyers. Pour y remédier, et avec le soutien du Groupe de la Banque mondiale, le pays a misé sur une technique financière innovante, la titrisation.
En octobre, IFC a annoncé un investissement de référence de 48,8 millions de dollars dans une obligation qui permettra de lever des fonds pour subventionner le raccordement à l’électricité de 800 000 ménages à faibles revenus, principalement dans l’intérieur du pays. Il s’agit de la première obligation à impact social émise dans le secteur de l’énergie au sein des huit pays qui forment l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Comme son nom l’indique, ce type d’obligation vise à favoriser la réalisation d’objectifs de développement social.
D’un montant de 97 millions de dollars, cet emprunt obligataire soutiendra le Programme Électricité pour tous (PEPT), une initiative lancée par le gouvernement ivoirien il y a dix ans afin de proposer aux ménages des tarifs à coût réduit. Mais pour pouvoir bénéficier du tarif social de l’électricité, encore faut-il avoir les moyens d’installer un compteur. C’est là qu’intervient cette émission obligataire, qui permettra de préfinancer le coût du raccordement pour les foyers les plus modestes.
« Les familles à faibles revenus qui ne bénéficiaient pas des tarifs subventionnés offerts par le PEPT auront désormais accès à l’électricité pour éclairer leurs maisons et leurs enfants pourront faire leurs devoirs le soir. C’est la dimension sociale de cette opération », explique Harris Hounton, chargé d’investissement senior au sein de la division Institutions financières d’IFC, basé à Dakar.
Et d’ajouter que les aspects financiers du dispositif sont tout aussi importants.
L’obligation a été émise par une entité ad hoc, appelée véhicule de titrisation (ou SPV selon l’acronyme en anglais). La titrisation consiste à regrouper et transformer en titres négociables des actifs non liquides. Dans ce cas précis, les versements perçus dans le cadre des contrats conclus avec la Compagnie ivoirienne d’électricité viendront rembourser les coûts des raccordements au réseau ayant été préfinancés pour les ménages à bas revenus.
Les actifs titrisés présentent l’avantage d’offrir des financements de long terme en faveur de projets d’infrastructure trop vastes ou trop risqués pour les banques commerciales.
Le Programme conjoint de développement des marchés financiers (J-CAP), sous l’égide du Groupe de la Banque mondiale, a apporté une aide essentielle à l’opération. L’objectif à présent est d’étendre ce soutien à d’autres secteurs et priorités de développement en Afrique de l’Ouest.
Forte de cette expérience en Côte d’Ivoire, IFC déploie des collaborations avec des investisseurs ailleurs en Afrique de l’Ouest afin de les aider à lancer des obligations titrisées sur le marché financier sous-régional. En janvier dernier, elle a annoncé avoir investi dans deux obligations émises par la société de télécommunications Sonatel afin de développer la fibre optique et créer des emplois dans les zones rurales du Sénégal. En 2020, IFC avait investi l’équivalent de 30 millions de dollars en monnaie nationale dans une opération de titrisation réalisée par NSIA Banque Côte d’Ivoire dans le but de soutenir les petites et moyennes entreprises.
Ces transactions, qui ont toutes été menées à bien avec l’appui du J-CAP, illustrent comment le développement de marchés financiers solides et bien réglementés peut aider les pays à atteindre leurs objectifs sociaux et environnementaux. Les activités du J-CAP au sein de l’UEMOA bénéficient du soutien des gouvernements allemand et norvégien.
Le coût et la complexité des titrisations effraient souvent les investisseurs, et ce tout particulièrement lorsqu’il s’agit de nouvelles classes d’actifs et de marchés naissants. IFC a inauguré le montage d’opérations de titrisation novatrices dans de nombreux marchés émergents, et mis à profit cette expertise pour assurer la faisabilité économique de cette nouvelle transaction en Côte d’Ivoire. « Compte tenu de la nature des contrats d’électricité et de l’imprévisibilité de leur trésorerie, il fallait une structure adéquate, avec des tranches différenciées, de manière à attirer les investisseurs commerciaux et atteindre ainsi les objectifs du Programme Électricité pour tous », souligne Fatou Diop, qui a travaillé sur cette transaction en tant que spécialiste des financements structurés au sein de la division Solutions de trésorerie d’IFC.
La Banque mondiale et la Côte d’Ivoire entretiennent un partenariat de longue date dans le domaine de la construction d’infrastructures électriques. Grâce aux investissements de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD), d’autres institutions de financement et des secteurs public et privé ivoiriens, le pays affiche un taux d’accès à l’électricité de 71 %, un chiffre bien supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne (50 %) et qui soutient la comparaison avec des pays comme le Nigéria (59 %), le Sénégal (68 %) ou le Ghana (86 %).
Dans les grandes villes, l’accès à l’électricité est quasiment universel, précise Marina Diagou, chargée d’investissement spécialisée dans les infrastructures énergétiques et basée dans le bureau d’IFC à Abidjan.
Pour autant, les retards de l’électrification rurale ont ralenti les efforts visant à améliorer les niveaux de vie. Un rapport d’évaluation réalisé par la BAD décrit l’effet transformateur de l’accès à l’électricité sur les moyens de subsistance des populations rurales.
« En facilitant l’accès des ménages en milieu rural au réseau électrique national, le PEPT permettra d’élargir l’accès aux ménages défavorisés, y compris ceux dont le chef de famille est une femme veuve ou célibataire, qui sont fortement dépendants des groupes électrogènes, des lampes à pétrole et du bois », note le rapport. (Source IFC).
Créé en 2014, le PEPT subventionne les raccordements au réseau et les tarifs de l’électricité pour les ménages à faible revenu. L’objectif est de parvenir à un accès quasi universel à l’horizon 2030. IFC « soutient le secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire depuis trois décennies maintenant », rappelle Mme Diagou. « Nous n’avons pas créé le PEPT, nous nous contentons en quelque sorte d’accompagner cette initiative, en aidant à accélérer le processus. »
Pour M. Hounton, cette première émission de titrisation vient donc ajouter un nouvel ingrédient financier à la relation de longue date tissée par le Groupe de la Banque mondiale avec la Côte d’Ivoire dans le domaine de l’énergie. Elle fait aussi des émules : le Togo, qui dispose d’un programme similaire d’accès à l’électricité, a manifesté son intérêt pour ce type de transaction, et d’autres opérations sont en préparation. Après des débuts novateurs, la titrisation pourrait s’imposer comme un instrument de financement essentiel pour le développement en Afrique de l’Ouest.